19 décembre 2010

« Des rires, des idées, des gènes... »

par Michel GERGEAY

  • Philosophe

Michel Gergeay a consacré une vie itinérante à l'enseignement, en Afrique, en Belgique, en Italie. Professeur de morale ici, de philosophie là, il est profondément convaincu du pouvoir libérateur et démocratique de la connaissance critique. Son passage à Jodoigne dans les années quatre-vingts l'a durablement marqué par la rencontre de nombreux amis libres-penseurs. Il vit désormais à Rixensart mais reste Jodoignois de coeur.

Pourquoi donc certaines idées gagnent-elles les esprits plus facilement que d'autres ? Et pourquoi celles qui s'imposent n'ont-elles pas nécessairement de relation avec la vérité objective, voire même s'y opposent radicalement ? L'histoire de l'humanité est aussi celle de cette lutte entre idées pour la maîtrise des esprits. Une analogie avec la théorie de l'évolution des espèces par la sélection naturelle nous fait remarquer, avec Jacques Monod (Nobel pour la découverte du code génétique), qu'une idée est sélectionnée soit a posteriori pour sa performance (elle apporte aux individus ou groupes qui l'adoptent un surcroît de cohésion, ou d'audace, qui leur permet de s'imposer dans la lutte « idéologique », l'idée en question étant dès lors transportée dans les bagages des vainqueurs et assimilée par les vaincus) soit a priori pour sa rassurance (l'idée est sélectionnée de préférence par les cerveaux humains parce qu'elle rassure, par exemple en situant l'homme comme nécessaire, central, immortel par l'âme etc.). Les religions jouent sur les deux tableaux mais la science, plus performante, les relègue de plus en plus dans la sphère de la seule rassurance. L'Islam créationniste mêle encore les deux, d'où son succès. Puisqu'il ne suffit pas d'avoir raison pour convaincre et que, d'ailleurs, la conviction n'est pas un gage de vérité, la question qui se pose aux laïques modernes, héritiers des Lumières, est celle de la méthode avec laquelle combattre les dogmatismes.

Le combat laïque a changé nos vies en établissant certains droits essentiels : droit à la contraception, à l'IVG, à un cours de morale non confessionnelle, à une fin de vie digne... mais des conquêtes qui se transforment en victoires à la Pyrrhus. Aujourd'hui que la « laïcité » est reconnue, subsidiée et bénéficie des mêmes avantages que les « autres cultes » (!), elle passe pour conservatrice et même intolérante lorsqu'elle réclame l'interdiction des signes religieux dans l'espace public ou des cérémonies protocolaires confessionnelles. Elle commet surtout l'erreur de faire descendre le beau principe laïciste (séparation de l'église et de l'état, de la foi et de la loi, de la religion et de la science) dans l'arène électorale et parlementaire. Alors, que faire ? Surtout pas copier les religions, mais les parodier. Le mimétisme n'est pas l'opposition. La parodie, elle, ajoute le piment qui reste insupportable à tous les dogmatismes : le rire. Depuis la fameuse « théière de Bertrand Russell », qui tourne en orbite autour du soleil jusqu'au Monstre en Spaghetti Volant qui créa l'univers en un seul jour ou encore la Licorne Rose Invisible qui aime les pizzas sans poivrons et subtilise nos chaussettes, les parodies de religion se multiplient sur Internet, avec un succès croissant.

Et aussi avec une certaine efficacité : le scientifique américain Bobby Henderson a obtenu que le créationnisme version pastafarienne (le monde créé par un immense plat volant de spaghetti) ait sa place dans les écoles du Kansas où le créationnisme biblique concurrence les cours de biologie traitant de l'évolution des espèces.

On présente Internet comme une révolution. C'est en fait le vecteur d'un saut qualitatif essentiel dans l'aventure humaine : désormais des milliards d'humains peuvent communiquer sans limite de temps ou d'espace leurs milliards d'opinions, de sentiments, d'idées. La conscience humaine devient conscience de l'humanité. Cela ne se fait pas sans erreurs, dérives, échecs ni batailles. Mais dans ce grand struggle for life électronique des idées, les religions sont bien présentes et elles se battent pour la direction des esprits. La performance et la rassurance s'affrontent également, comme on l'a vu dans le débat mondial sur la vaccination contre la grippe H1N1 ou le débat sur le réchauffement climatique. Ces guerres virtuelles, aux conséquences pourtant bien concrètes, préfigurent-elles l'ultime bataille, celle qui opposera peut-être un jour l'humanité au reste du vivant ? Si les gènes que notre espèce héberge nous amenaient au suicide collectif, sauvant ainsi sur terre la vie elle-même ?

 

Toutes les idées sont mortelles. Conçues par des mammifères, elles naissent et disparaissent un jour.

Mais s'il en est d'utiles, de bienfaisantes, il en est d'autres intolérables parce qu'intolérantes, ou si inutiles. Les Rosilicorniens disent : un homme sans religion est comme un poisson sans...bicyclette.