26 septembre 2010

« La raison et la foi sont-elles conciliables ? »

par Michel THYS

Un libre penseur ne cherche pas à convaincre. Malgré les apparences, ce n’est pas son intention. Il souhaite seulement susciter des questions et des commentaires, en espérant qu’à l’issue du débat, chacun puisse se forger sa « vérité », par définition personnelle, partielle et provisoire.

Certes, un libre penseur se passe de toute référence transcendantale, et il estime généralement que toutes les religions sont plus nocives que bénéfiques, parce qu’elles incitent à la soumission, parce que, prétendant détenir chacune LA Vérité, elles sont à l’origine de l’intolérance, parce qu’étant instrumentalisées par le pouvoir politique, elles sont co-responsables de bien des guerres, etc.

Un libre penseur dénonce donc le dogmatisme et le néo-cléricalisme mais il n’est  n’est PAS antireligieux. Je respecte le droit légitime de croire, mais j’estime qu’idéalement, la foi, au lieu d’être imposée dès l’enfance, devrait être choisie aussi librement que possible, après avoir découvert les alternatives laïques non aliénantes.

Nombreux sont les croyants qui cherchent à concilier la raison et la foi, la science et la religion, le créationnisme ou le « dessein intelligent» et l’évolutionnisme, l’objectif et le subjectif. Mais, à mes yeux, leurs arguments, par exemple le recours à un dieu, ou à un grand architecte de l’univers pour les déistes, ou encore l’harmonie apparente du monde, etc., sont anthropomorphiques ou des pétitions de principe.

L’ « argument » le plus subtil et le plus fréquemment évoqué par les croyants, c’est que la science et la raison s’occupent du « comment », tandis que la religion et la foi s’occupent du « pourquoi ». Se situant à des niveaux différents, elles seraient complémentaires et donc conciliables.

J’y vois une pirouette jésuitique, parce que cela voudrait dire qu’il suffirait de changer de point de vue, ou de lunettes, pour que deux hypothèses contradictoires puissent être vraies en même temps, alors que logiquement l’une d’elles doit être vraie, et l’autre fausse.

 

Certains scientifiques, comme Andrew NEWBERG, ont cherché à concilier leur foi et leur raison en affirmant que « Dieu » a programmé le cerveau humain pour croire, ou encore, comme le neurophysiologiste Mario BEAUREGARD, en recherchant dans le lobe temporal droit l’antenne que « Dieu » y aurait placée pour recevoir sa « Révélation » ! En vain, évidemment, puisque c’est tout le cerveau qui est concerné, même si le cerveau émotionnel apparaît prédominent chez le croyant.

 

Comment expliquer cette imperméabilité de certains croyants, par ailleurs souvent intellectuels éminents, à toute argumentation rationnelle et scientifique ?
Paradoxalement, je propose une hypothèse explicative inhabituelle, à partir d’observations de psychologues religieux et de psycho-neuro-physiologistes croyants.

Il y a d’abord les observations, notamment, d’un psychologue religieux, le chanoine Antoine VERGOTE, professeur émérite à l’Université catholique de Louvain.
Il a confirmé en 1966 qu’en l’absence d’éducation religieuse, la foi n’apparaît pas.

De fait, l’émergence de la liberté de conscience et de religion me paraît compromise. D'abord par l’imprégnation de l’éducation religieuse familiale, forcément affective puisqu’elle est fondée sur l’exemple et sur la confiance envers les parents.

Cette influence, légitime mais unilatérale, est ensuite confortée par celle d’un milieu culturel croyant qui ne développe pas l'esprit critique en matière de religion, occulte toute alternative humaniste laïque et surtout incite à la soumission plutôt qu’à l’autonomie et à la responsabilité individuelle. L’éducation coranique, exemple extrême, en témoigne hélas, à 99 %, la soumission y étant totale.

 

Quant aux psycho-neuro-physiologistes, ils ont observé que, dès l’âge de 2 ou 3 ans, les amygdales (pas celles de la gorge !), sont déjà capables de stocker inconsciemment des souvenirs émotionnels, tels que l’atmosphère envoûtante d’une église ou les comportements religieux des parents.

Or l’IRM fonctionnelle tend à montrer que ces traces sont indélébiles et qu’elles se renforcent par la plasticité neuronale due à la répétition des expériences religieuses.
J’en déduits qu’à des degrés divers, le cerveau rationnel et donc l’esprit critique ultérieur s’en trouvent inconsciemment anesthésiés, indépendamment de l’intelligence et de l’intellect, du moins dès qu’il est question de religion.

Dans cette optique psychoneurophysiologique, les conversions religieuses deviennent compréhensibles à mes yeux. Le brusque basculement de l’incroyance vers la croyance s’accompagne toujours d’un bouleversement de neurotransmetteurs et d’hormones, un peu comme, mutatis mutandis, lors d’un coup de foudre amoureux. Par exemple, la conversion de Paul CLAUDEL, qui avait perdu la foi à 14 ans et qui l’a retrouvée à 18, en entendant le Magnificat de BACH à N-D de Paris le 25 décembre 1886. L’environnement sensoriel (les grandes orgues, l’odeur d’encens, le décorum, le gigantisme de l’édifice, etc.) a dû provoquer chez lui un bouleversement, notamment au niveau de la sérotonine et de la dopamine, au point de faire disjoncter son cerveau rationnel au profit de son cerveau émotionnel, malgré sa brillante intelligence. Les exemples abondent.

 

Et voici mes conclusions, pour terminer cette introduction au débat :

- 1.  Les parents croyants devraient se demander si, à notre époque de pluralité des cultures et des convictions, ils ont encore moralement le droit, même s’il est légitime et constitutionnel, d’imposer unilatéralement leur croyance à leurs enfants.

- 2.  La religion étant une affaire privée, elle ne devrait être mentionnée à l’école que lors d’un cours d’histoire ou de philosophie, parce qu’un minimum de culture religieuse fait partie de la culture générale, notamment artistique.

- 3.  A mes yeux, l’enseignement confessionnel est à la fois élitiste, inégalitaire, prosélyte, exclusif, communautariste, anachronique et donc obsolète.

- 4. La Libre Pensée et toutes les instances laïques devraient prôner un système éducatif pluraliste proposant à tous les niveaux, une information minimale, progressive, objective et bien sûr non prosélyte, à la fois sur le « fait religieux », c’est-à-dire les différentes options religieuses ET sur le « fait laïque », c’est-à-dire les options laïques occultées par les religions, l’humanisme laïque, la spiritualité laïque, etc. C'est ainsi que je conçois la neutralité de l’Etat : sans laxisme ni électoralisme.

- 5.  Mais les religions réagissent, les sectes profitent de ce que la « quête de sens » subsiste et l’islamisation progresse insidieusement. Il est donc plus que temps de proposer l’alternative d’un humanisme laïque solidaire, proposant un socle de valeurs « universalisables » acceptables par tous, croyants comme incroyants.

 

Vivement un large débat médiatique, puis politique, à ce sujet !